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Etonnez-moi !

Ce devait être au début des années 70. L'aisance de ma mère en société, sa capacité solaire à rester le centre de toute discussion, son charme évident me fascinaient. Et l'adolescent que j'étais finit par lui demander ses recettes de séduction. Elle me raconta à peu près cette histoire, toute à son image:

Dans les années 1910, Cocteau et Diaghilev marchaient dans la rue à la suite d'un Nijinsky boudeur. Diaghilev n'écoutait qu'à peine Cocteau, qui s'en vexa. Lui demandant pourquoi il ne s'intéressait pas à lui, Cocteau se vit répondre cette phrase : "Etonnez-moi"

Ce fut l'un des conseils de Charlotte à son fils, l'une de ses recommandations, que j'ai tenté de mettre en pratique toute ma vie, et dont j'ai pu constater l'efficacité en particulier sur les enfants. Rien de tel que d'étonner un enfant pour faire cesser ses pleurs, ou le sortir de son indifférence !

Voici l'extrait des mémoires de Cocteau correspondant au récit de Charlotte:

Le premier son de cloche, qui ne se terminera qu'avec ma mort, me fut sonné par Diaghilev, une nuit, place de la Concorde. Nous rentrions de souper après le spectacle. Nijinsky boudait, à son habitude. Il marchait devant nous. Diaghilev s'amusait de mes ridicules. Comme je l'interrogeais sur sa réserve (j'étais habitué aux éloges), il s'arrêta, ajusta son monocle et me dit : « Etonne-moi » ». Cette phrase me sauva d'une carrière de brio. Je devinai vite qu'on n'étonne pas un Diaghilev. De cette minute, je décidai de mourir et de revivre. Le travail fut long et atroce. Cette rupture, je la dois comme tant d'autres à cet ogre »

Comme Cocteau, Charlotte ne vécut pas que de son brio. Elle avait par sa culture et son intelligence tous les moyens de briller. Mais un jour ou l'autre, elle décida d'étonner, et cette décision fut prise ad aeternam !

Alors une seule question, qui restera sans réponse :

Qui fut son Diaghilev ?

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